Si l’entraînement physique est de rigueur pour toute réussite sportive, la préparation mentale est également un point à ne pas négliger. Marc Bonjour est cadre, père de famille, et sportif addict. Il réalise l’équivalent d’une demi-douzaine de marathons par an. Sous forme d’ultra trails ou de swimruns, et vient d’être finisher à la “Diagonale des Fous” organisée en octobre dernier.
Il y a chez lui une sérénité et une vraie intelligence émotionnelle dans son approche des challenges sportifs. Marc utilise les mêmes techniques de gestion de la fatigue et du stress au sport comme en entreprise. Il a été finisher en octobre dernier de la “Diagonale des Fous”, à l’île de la Réunion. Un exploit qui, comme nous l’avons vu dans notre précédent article à ce sujet, nécessite une excellente préparation mentale.
Nous l’avons écouté parler de son expérience, de ses entraînements, de sa préparation sportive et de sa préparation mentale.
La Diagonale des fous
La Diag, comme l’appelle les initiés, est le Grand raid traversant la Réunion avec un parcours d’environ 160 kilomètres et 9000 m de dénivelé positif. Le départ est au sud de l’île, à Saint-Pierre. Les concurrents débutent par l’ascension du massif du piton de la Fournaise. Puis à travers les sentiers, les ravines, ils traversent plusieurs cirques naturels de l’île, parmi lesquels Cilaos et Mafate. L’arrivée est jugée au stade de La Redoute, à Saint-Denis. D’autres courses sont proposées avec des distances différentes : le Trail de Bourbon (105 kilomètres et 6140 m de dénivelé positif), la Mascareignes (72 kilomètres et 3900 m de dénivelé positif)
Une question d’entraînement psychologique
« C’est bien simple, c’est une question d’entraînement psychologique. Il faut un mental d’acier et de la persévérance : ne jamais se décourager. C’est un principe que j’applique généralement à tous les aspects de ma vie : rester inoxydable malgré les turnovers. Mais cela reste quelque chose de très personnel, et qui n’est pas facile à transmettre. Parce que rester toujours d’un caractère égal, dans une disposition positive, c’est un sentiment très profond que je cultive. Je suis très constant, grâce à l’énergie consommée pour le sport mais obtenue en retour par ce même exercice physique. »
« Quel que soit l’entrainement, il est important pour moi de faire du sport régulièrement. Cela maintient euphorique, de bonne humeur, ça permet d’avancer ensemble et de diffuser son énergie, et notamment en entreprise. Ma préparation se fait en permanence : je me répète des phrases positives en me disant que j’irai au bout de l’épreuve. Quelles que soient les tribulations. C’est le deuxième principe d’analyse de Descartes. »
Les principes d’analyse de Descartes
Le philosophe René Descartes a mis en place quatre principes pour décortiquer une situation difficile : le principe d’évidence rationnelle, le principe d’analyse, le principe de dénombrement, et le principe de synthèse. En premier lieu, l’évidence rationnelle, c’est le fait de n’admettre que les faits mesurables. Ainsi, nous avons une idée claire des éléments qui sont en notre possession. Puis, le deuxième principe est celui d’analyse. C’est à dire de “Décomposer les difficultés en autant de parcelles qu’il se peut pour mieux les résoudre.” Le troisième principe, de dénombrement, consiste en le “contrôle de l’analyse, faire des recoupements tels que l’on soit assuré de ne rien omettre.” Enfin, le quatrième mouvement, consiste en la synthèse des étapes précédentes pour parvenir à une conclusion satisfaisante.
« Décomposer les difficultés en autant de parcelles qu’il faut pour les résoudre »
« C’est la méthode que j’ai choisie pour le sport et toutes les choses dans la vie : décomposer les difficultés en autant de parcelles qu’il faut pour les résoudre. Je les divise chacune en plus petites que j’examine ensuite une à une. Quel est le point de départ et d’arrivée ? quelle est la nature de l’obstacle ? Par exemple, c’est beaucoup plus dur de démarrer une course en se disant qu’il y a 165 kilomètres à faire, que de se dire « je viens de terminer cette montée, il me faut maintenant parvenir au col ». Ou bien « la prochaine grande étape du 65 ème au 113 ème kilomètre, ce sera le sommet du Maïdo. »
« J’applique cette méthode en permanence. C’est le meilleur moyen d’arriver au bout des difficultés. J’aime me répéter tout le temps que je vais devoir appliquer ce principe de décomposition, qui est essentiel pour arriver au bout. Avoir ce principe en tête, c’est penser en avance chaque étape, chaque ravitaillement, chaque montée, chaque sommet. Anticiper les épreuves à venir sans exagérer la nature de l’obstacle. »
J’ai bien sûr eu des coups durs lors de ma Diagonale des fous

Le tracé de la Diagonale des Fous qui traverse l’île de la Réunion
« Dans mes challenges sportifs, j’ai bien sûr eu des coups durs. Au deuxième soir de la Diagonale des Fous, par exemple, j’étais gelé, je grelottais. Je sentais que je faiblissais. C’était au 85 ème kilomètre. C’était la nuit, et en tremblant de froid, je suis allé dans la grande tente. J’étais gelé, je me suis allongé en étant frigorifié.
Quinze ou vingt minutes plus tard, je me relève, je cède la place à quelqu’un d’autre. Je suis sorti toujours grelottant en me demandant ce que je faisais là. J’ai aperçu un feu, des îliens supporters étaient en train de faire du feu au bord de la route. Je suis allé me réchauffer auprès du feu, et ça a été ma lueur d’espoir.
Ensuite, je suis reparti dans la nuit en étant réchauffé. »
« Ne pas se plaindre car j’ai choisi volontairement d’être là »
« C’est vrai, il y a des moments plus durs que d’autres, mais il ne faut pas se plaindre car on l’a choisi volontairement et on a aussi de moments de grâce devant les magnifiques paysages (mais pas la nuit, quoique parfois on a l’impression d’être sur la lune). Ma femme me dit toujours quand je pars en ultra : “amuse-toi bien ! “ et elle a raison, cela doit rester “ludique” malgré l’effort. Le soutien affectif et psychologique des êtres aimés est essentiel. Lors de l’UTMB 2017, ma femme est venue exprès me soutenir au 80 ème kilomètre à Courmayeur, le vrai « début » de la course. Puis une fois encore à Vallorcine au 153 ème kilomètre et bien évidemment à l’arrivée où j’ai pu l’embrasser dans la foule des supporter quelques mètres avant la ligne d’arrivée. »
Il faut un sacré sens de l’organisation
« Je vis ma vie intensément, elle est très remplie : le boulot, la famille, énormément de sport, et toutes ces compétitions sportives avec des objectifs de course. Pour avoir un tel rythme, il faut un sacré sens de l’organisation : et pour ça, dans ma vie quotidienne, il y a un côté bureaucratique un peu rébarbatif. Tous ces papiers à remplir, les dates à bloquer, le matériel, le voyage, l’hébergement, etc.. Mais pour moi, ça fait totalement partie de la course. Quand je fais un certificat médical, et que je m’inscris à une course, je me fixe un objectif difficile sur le long terme ; il faut que je résiste à toute possibilité d’annuler, de reporter les ultra trails. Il faut rationaliser le calendrier sportif de l’année qui vient, éviter de s’éparpiller partout. »
« C’est une gymnastique que je fais, de me fixer sur des objectifs difficiles qui vont me faire aller au delà de moi-même, parce que pour moi c’est essentiel pour progresser. Je peux le faire seulement parce que j’ai une préparation mentale permanente. A partir du moment où je peux dormir 1⁄4 d’heure toute les huit ou dix heures pendant la Diagonale des Fous, je peux également avoir un bon rythme au travail au quotidien et pratiquer le sport intensément. »
Une préparation de tous les jours pour cette Diagonale des fous
« Au quotidien, j’ai aussi un entraînement sportif, une préparation de tous les jours. Je vais plusieurs fois par semaine m’entraîner après ou avant le travail. Par exemple, pour faire une séance de natation ou de course à pied. Ce n’est pas possible tous les jours à cause des obligations professionnelles ou privées. En termes d’alimentation, je fais attention à ne pas manger trop de gras, ni boire trop d’alcool. Cependant, je n’ai pas un contrôle maladif de mon alimentation : je peux me permettre des choses, car je sais que j’élimine beaucoup. J’ai une bonne constitution. »
« J’ai toujours fait du sport, mais ça c’est accentué avec l’âge. J’aime le côté ludique du sport. Cela a commencé quand j’étais Directeur de cabinet du Conseil Général de l’Orne. J’avais pris du poids au fur et à mesure, et je me suis aperçu qu’il fallait que je fasse attention. Un directeur financier m’a dit qu’il y avait une course locale : ainsi j’ai donc fait mon premier marathon de Normandie. C’était une manière de résister à la vie rabelaisienne des conseils de province.”
C’est l’amitié qui a fait qu’on y arrive
« Un marathon par an, puis au bout de 10 ans j’en ai fait deux par an. Je me suis aperçu que c’était possible. C’est l’amitié qui a fait qu’on y arrive. On a envie d’aller plus loin, avec les amis qui courent avec vous. Je suis allé au marathon du Médoc, de Nice, de Bruxelles, de Genève, puis plus loin, Istanbul, etc. Il y a deux ans et demi, on a tenté les 80 kilomètres de l’Ecotrail de Paris avec quelques amis. C’est une course de 80 kilomètres. Deux marathons à la suite qui se termine au premier étage de la Tour Eiffel. C’est beaucoup, mais on le fait avec plaisir : c’est la drogue de l’endorphine, de l’adrénaline, de l’ocytocine… Puis j’ai couru de plus en plus, et petit à petit, j’ai dépassé les 100 kilomètres : ça génère beaucoup d’euphorie. C’est physico-chimique, disons. »
Cela pulvérise les barrières mentales
“Ensuite, grâce à mon ami Thierry et mes amis d’ultra trail Frédéric, Alexis, Bruno, j’ai vécu l’aventure du Marathon des Sables au MAROC. Un marathon par jour en moyenne pendant 6 jours, environ 233 kilomètres cette année-là. Le désert est magnifique. On est en autonomie alimentaire pendant une semaine, c’est du scoutisme amélioré pour moi. Je me transforme en quelque sorte en “post-adolescent”…Cela pulvérise mes barrières mentales.
Puis j’ai accumulé les points d’ultra trail pour courir l’UTMB très convoité, l’Ultra Trail du Mont Blanc en 2017. Mes amis de course ont été séduits par l’idée de courses aussi longues et incroyables. Ils se sont dit que si je l’avais réussi, ils pouvaient le tenter aussi, puisque nous nous entraînons régulièrement tous ensemble 20 kilomètres chaque samedi matin dans le parc de Saint Cloud.
L’entrainement, les douleurs, se connaître pour la Diagonale des fous
Quand j’ai commencé, je courrai 1 heure le samedi matin. Et progressivement, j’ai accentué mon entrainement pour arriver à terminer mon premier marathon. Et j’ai continué à progresser dans mon approche des courses, de ma préparation. Tout cela a changé ma vision des choses : après ce type d’expérience, on sait qu’on peut franchir de grands obstacles. Parfois, la souffrance est réelle : des tendinites, des crampes, le mal à la hanche, et puis j’ai souvent des douleurs.. pour ma part, j’ai souffert au quarante-cinquième kilomètre, à l’ultra trail. A ce moment, tu souffres en silence, et petit à petit tu chauffes tellement que tu es obligé de t’arrêter. Il faut être humble, se connaître physiquement et s’arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Ce n’est pas si facile à décider, mais là encore, grâce à René DESCARTES, il faut savoir garder assez de lucidité pour juger jusqu’où “la volonté dépasse l’entendement”.
“La préparation sportive, c’est une synthèse de beaucoup de petites choses. Avant j’étais désinvolte par rapport à ça, mais maintenant je respecte les étapes de la préparation, le matériel obligatoire, voire au-delà et tant pis si cela pèse quelques grammes en trop. Quand il fait -9°C en haut de l’UTMB, il faut mieux se couvrir et prendre soin de chaque muscle de son corps, ne pas manger et boire n’importe quoi, ce qui en conduit beaucoup à abandonner bêtement car “les intestins sont notre second cerveau”, notre cerveau se concentre sur les organes vitaux du cœur et des poumons…
Il n’y a jamais d’échecs, mais que des expériences
“Si on n’arrive pas au bout, ce n’est pas grave. Il n’y a jamais d’échecs, mais que des expériences. Chaque expérience peut permettre d’aller à la suivante. J’ai dû abandonner l’Ultra trail de 144 kilomètres du Mercantour. J’ai été arrêté la seconde nuit de course par l’organisation de la course à cause d’un énorme chien de berger, un gros patou qui protégeait les troupeaux et était trop énervé par le passage des premiers coureurs. Puis j’ai stoppé 30 minutes, le temps de faire venir le berger pour calmer son gros chien, j’ai pris froid. Quand j’ai repris, je dormais debout sur les crêtes. J’ai dû abandonner au centième kilomètre, mais je l’ai pris comme une expérience. J’ai fini par obtenir mes 15 points ensuite, ça m’a permis de m’inscrire au fameux UTMB.”
Un voyage au bout de soi-même lors de cette Diagonale des fous
“C’est une histoire de préparation mentale. On tire des leçons de chaque expérience : la prochaine fois, plus de sommeil en discontinu, un autre rythme, etc. Et puis, ce genre de challenge, c’est très personnel, presque intime : à chacun sa course, ça ne sert à rien de vouloir attendre les copains. On s’inscrit ensemble à la course, on séjourne ensemble , mais c’est à chacun de partir à son rythme, et de faire sa course selon ses capacités et sa volonté de dépassement de soi, de voyage au bout de soi-même.”
Quelques photos prises lors de cette épreuve de la Diagonale des Fous.
Nous remercions Marc Bonjour de nous avoir gentiment donné cet entretien.
Sur la Diagonale de fous, voir également l’entretien avec Christian Privat « Savoir se servir de son mental ».
Sur les épreuves d’ultra-distance, d’ultrafond, de très grande distance, vous pouvez lire la manière dont William David a préparé et parcouru les 1100 kilomètres de la Race Across France 2021 ou bien comment Brieuc Lebec s’est préparé pour la Mini transat 2021.